Joanot Martorell
Pour le peu que l’on en sache, la vie de Joanot Martorell (1413-1468) constitue, en elle-même un roman. Né à Gandie près de Valence, il appartenait à une famille de petite noblesse féodale. Nanti de sept frères et sœurs, poussé aussi bien par une conception sourcilleuse de l’honneur familial que par la nécessité économique, il se révéla d’un caractère fort belliqueux. On lui connaît ainsi de nombreux défis et duels, jalonnant une vie mouvementée qui le conduisit jusqu’en Angleterre, via le Portugal, pour demander au roi Henri VI en personne l’arbitrage de son différent avec un sien cousin, Joan de Monpalau. Celui-ci, accusé d’avoir abusé la sœur de Martorell, Damiata, versa un dédommagement et le duel n’eut finalement pas lieu. Mais on dispose des Lettres de Bataille que Joanot Martorell lui fit parvenir (publiées aux éditions Corti en 1998), lesquelles révèlent déjà en lui l’homme de plume. Avec la rédaction de Tirant le Blanc, il participa à son tour à l’éclat des lettres de son temps.
C’est que, bouillant chevalier, Martorell fréquenta aussi à Valence les plus grands noms du Siècle d’or de la littérature catalane - du reste encore forts méconnus en France : Jordi de Sant Jordi, Ausiàs March, Joan Rois de Corella (qui écrivit sans doute certains passages du Tirant), Jaume Roig ou Isabel Villena.
Mais, toute brillante qu’elle fut, la chevalerie valencienne connut de grandes difficultés pour survivre, comme ailleurs en ce milieu de XVe siècle, et dut avoir recours à de peu reluisants expédients. C’est ainsi que Joanot se retrouve, en 1449, à la tête d’une bande de brigands maures, activité qui le conduisit un temps en prison. Et c’est toujours cette désastreuse situation financière qui le poussa à mettre en gage son Tirant pour cent réaux auprès d’un certain Marti de Galba. Mais ni celui-ci ni Martorell ne verront l’ouvrage terminé, qui sort des presses de Spindeler, imprimeur allemand de Valence, en 715 exemplaires, au cours de l’année 1490.